L'héliportage
Le refuge est gardé de mi-juin à mi-septembre. Quelques jours avant l'ouverture, un héliportage est effectué pour permettre d'acheminer tout ce qui sera nécessaire au cours de la saison: bouteilles de gaz, bois de chauffage, literie des bat-flancs et affaires personnelles ainsi que toutes les denrées alimentaires non périssables pour une saison de trois mois.
En fin de saison un nouvel héliportage permet de redescendre les bouteilles de gaz vides, l'ensemble de la literie qui passera en blanchisserie et les poubelles qui n'ont pas pu être redescendues pendant l'été.
L'héliportage est l'aboutissement d'une préparation minutieuse et d'une chaine logistique sans faille. Pour des raisons économiques et écologiques les refuges d'un même secteur s'accordent, quand c'est possible, sur la date de l'héliportage, en espérant que les conditions météorologiques soient favorables.
Le bilan des consommations de la saison précédente ayant été fait, il faut en tirer les enseignements: le ravitaillement était-il cohérent? Et de là, imaginer ce que sera la saison future. Le fonctionnement d'un refuge génère l'utilisation de nombreux produits, des bouteilles de gaz aux herbes aromatiques en passant par le papier toilettes ou encore le liquide vaisselle: pour chaque produit la même interrogation: quelle quantité ? Equation qui se complique lorsque le gardien débute son activité dans un nouveau refuge.
Ces calculs étant effectués je pars à la recherche des fournisseurs: vais-je travailler en bio ? Puis-je le faire ? Sur quels produits ? Bio en circuit long ou circuit court local mais pas forcément bio ? Les commandes étant passées, il faut récupérer la marchandise non périssable et trouver un local pour la stocker. A titre d'exemple, mon fournisseur bio en pâtes, légumineuses et sucre, se trouve près de Valence. Je récupère mes commandes en remontant des Pyrénées d'où je suis originaire. Dans mon fourgon je rapporte le vin acheté dans les Pyrénées Orientales, les différentes confitures faites maison... Les commandes doivent être passées trois semaines à l'avance.
Quelques jours avant l'héliportage je monte au refuge pour une remise en état générale: déneigement des accès, remise en fonctionnement des circuits d'eau (arrivée et évacuation), branchements des circuits électriques, des congélateurs. Souvent il y a des surprises.
La veille de l'héliportage, les amis sont au rendez-vous vers 7h pour cette longue journée qui finira tout juste pour le repas du soir. Nous chargeons les véhicules avec les marchandises achetées préalablement et stockées entre autre chez moi, puis nous faisons le tour des différents fournisseurs pour récupérer les produits frais: charcuterie, coopérative laitière pour les fromages, pain, fruits et légumes... Je passe chez une amie qui a gardé mes quatre poules durant l'hiver: elles participeront au tri sélectif et en retour donneront des oeufs. Ensuite direction les Fontanettes à Pralognan en Vanoise pour préparer les big bags (les charges que l'hélicoptère transportera). En passant, je récupère les bouteilles de gaz (70 kg chacune) chez un ami. Les trois stères de bois sont livrées directement à la DZ (Drop Zone) où il faudra aussi les conditionner.
La charge par rotation doit être comprise entre 400 et 850 kg. Le poids idéal se situe entre 650 et 750 kg. Le coût de l'hélicoptère étant calculé à la minute, il est important d'optimiser les rotations. Les marchandises sont conditionnées par mes soins ou par les fournisseurs au préalable dans des cartons à bananes. Ils sont donc pesés un à un et les big bags sont préparés en respectant ces poids. Deux big bags légers peuvent être héliportés en même temps. En général la matinée est consacrée à récupérer les marchandises aux différents endroits, à charger les véhicules et à faire le trajet jusqu'à Pralognan; l'après midi à préparer les big bags. Le soir détente au restaurant après une journée intense d'activité et de stress où rien ne peut être oublié, avec l'inquiétude de la météo du lendemain. Nous dormons sur place dans nos fourgons ou sous tente, pour surveiller matériel et denrées.
Le jour de l'héliportage réveil tôt. Une équipe monte des véhicules à Plan Fournier et revient aux Fontanettes. Quinze à trente minutes avant l'arrivée de l'hélicoptère, le fournisseur de surgelés arrive avec sa commande, dernier chargement des big bags.
Maintenant l'hélicoptère est là. La première rotation monte le personnel, cinq personnes dont moi. Ouverture du refuge à la volée, chacun connaît son rôle, tout va très vite. Deuxième rotation, les surgelés, qui sont aussitôt stockés dans les congélateurs. Je suis à la réception, les amis font la chaine. Les rotations se poursuivent... enfin la dernière ! l'hélicoptère s'éloigne et le silence revient.
Les heures suivantes sont éprouvantes. La fatigue arrive, mais pour moi, pression et stress commencent à redescendre. On se met à ranger: les denrées alimentaires, les bonbonnes de gaz, le bois, ranger, ranger et encore ranger, dans la cuisine, son arrière salle, la cave, la partie gardien... Trois mois d'autonomie, ça prend de la place.
Le soir grillades. Première nuit dans le refuge pour une nouvelle saison, un nouvel été, avec ses fatigues, ses joies, les épisodes de mauvais temps, les rencontres insolites avec la solidarité des guides et des accompagnateurs moyenne montagne qui donnent un coup de main à la vaisselle, tradition oblige ;-)
Une nouvelle saison qui commence: trois mois d'aventure immobile pour le gardien ancré à son refuge mais en lien avec tous les professionnels et les bénévoles du massif.
Demain avec toute l'équipe, encore une grande journée de rangement clôturera cet héliportage. Dans quelques jours, tout sera prêt pour vous accueillir.
Je tiens à remercier les bénévoles du Caf Vanoise Tarentaise, mes amis, ma famille ainsi que mes collègues gardiens, qui m'aident le jour des héliportages mais aussi tout au long de la saion.